Oser

Texte livré lors du retour des soirées PechaKucha à Québec, le 3 mai 2018 – Thème : dialogue


Photo Vicky Parent

On peut créer toute sa vie sans jamais rien oser montrer.

On peut, toute sa vie, penser différemment, sans rien oser dire.

On peut toute sa vie avoir peur de s’exposer, avoir peur d’être à part, avoir peur d’exprimer nos opinions, parce qu’elles n’ont pas le tranchant des angles à 90 degrés de certaines colonnes de journaux réservées à ceux qui, à défaut d’être payés pour penser, le sont pour parler.

On peut construire au fond de notre maison une chambre fermée à clé pour y entreposer nos rêves, à côté de nos idées qu’on se promet de peut-être caresser dans quelques années.

Si y’est pas trop tard.

À défaut de décider d’oser, c’est sûr qu’on peut regarder le temps passer.

Lui, y’arrête jamais d’avancer.

Photo Vicky Parent

Ou on peut décider autrement.

Reconnaître qu’il n’y a pas de « contrôle Z » sur la vie pis que l’unique personne qui nous retient vraiment d’être qui on veut vraiment être, c’est soi-même.

On peut décider d’arrêter d’être sur son propre chemin à se retenir d’avancer.

Tsé, juste se tasser sur le côté pour se laisser passer.

Assurément, on peut décider d’arrêter de penser qu’on n’est pas encore tout à fait assez ceci, trop cela, que d’autres le font et le disent mieux que nous.

C’est pas pour dire, mais on va bientôt être 8 milliards d’humains sur terre.

Peut-être que ça commence à être assez de monde pour qu’on arrête de se comparer.

Photo Jean-François Gravel

Le plus brillant des romans gardé pour soi sera toujours ben juste une pile de papiers dans un tiroir sagement rangé.

L’œuvre n’existe pas sans le dialogue. Sans le regard de l’autre.

Et pour rejoindre l’autre, il faut d’abord accepter de sortir de soi. S’exposer. Prendre l’air, le grand air, au dehors de son luxueux espace intérieur et de ses jardins secrets aménagés à coup d’idées qu’on n’a pas partagées.

Ça peut sembler anodin, mais prendre un pinceau ou un crayon pour écrire est un geste puissant. Un geste qui permet de créer l’interface qui va aller rejoindre l’autre, de créer un espace propice au dialogue.

Un dialogue qui va donner tout son sens à l’œuvre.

Photo Vicky Parent

Un dialogue qui bien souvent va être plongé dans le silence – lors de la création pour l’artiste et de la réception pour le destinataire. Un dialogue sans mot qui va ainsi prolonger la réflexion, au-delà des frontières temporelles, spatiales ou culturelles.

Ça peut sembler paradoxal, mais pour communiquer des idées, proposer des œuvres, parler vrai, il me semble qu’il faut d’abord savoir se taire.

Observer.
Écouter.
Réfléchir.

Et, ensuite, seulement, après un autre café – faut pas toujours être pressé – on peut prendre la parole. Créer. Et espérer nouer un dialogue.

Bon.

Ça fait 2 minutes 40 que je fais un monologue pour vous parler du dialogue, que je veux vous parler de mon travail comme artiste peintre et auteure de la relève, et que je vous partage plutôt une courtepointe d’idées.

Vous l’aurez sans doute remarqué, les chemins pour se rendre où on veut dans la vie sont souvent tordus.

Mais j’y arrive, je vous rassure.

Janvier 2017.
Ça c’est concret.

Après des années à peindre et à écrire en marge de ma vie, je décide de tout arrêter. Du moins ce qui m’offre une stabilité (#contratsenanimationenrédactionencommunication) pour me lancer dans une première période de création de 6 mois en peinture et en écriture.

Jour 1. Je réalise que l’expression « sauter dans le vide » a certainement été inventée par des gens qui n’en ont jamais fait l’expérience.

Ce jour-là, le soleil s’est levé.
Le sol était bien solide.
Le monde était encore bienveillant.
Mon compte en banque, mes amis et les opportunités ne s’étaient pas volatilisés.

Ce n’était que le lendemain du jour d’avant.
Ce n’était qu’un premier pas dans une nouvelle direction.

Photo Hélène Bouffard

J’ai alors posé des actions simples. Une après l’autre.
J’ai acheté un canevas et de la peinture.
Simple.
J’ai peins.
Simple.
J’ai ouvert mon ordi.
Simple.
J’ai écrit.
Simple.

Puis, sans m’en rendre compte au fur et à mesure que j’ai fait ces actions simples, elles se sont additionnées pour me permettre d’arriver à des objectifs complexes. Devenir artiste peintre, monter des expos solos, vendre mes toiles. Faire publier mes premiers textes, monter mon premier spectacle littéraire, recevoir une première bourse.

Sans le savoir, je venais de me permettre de mieux vivre.

Je venais de permettre à mes œuvres de grandir au contact de l’autre, d’établir avec lui le dialogue nécessaire pour qu’elles puissent exister en dehors de moi.

Je crée depuis comme une invitation à vivre plus pleinement, ce dont je vous parle, en fait, depuis 4 minutes 20 secondes.

(Les chemins sont tordus, mais on finit par y arriver.)

Photo Hélène Bouffard

Dans tout ce que je fais, je cherche à produire des espaces où le mouvement et les mots s’émancipent des limites imposées.

Où on peut prendre le temps de réfléchir.
De s’inspirer.
De s’arrêter.

Photo Vicky Parent

En écriture, je magnifie le monde qui nous entoure pour mieux le questionner, en saisir les limites, en décoder les incohérences, en mesurer son influence.

Dans mon premier spectacle littéraire qui sera présenté à la fin de l’année (Fuck la perfection (oh, pardon)) je m’intéresse au rapport de la femme à l’inatteignable quête de perfection dans un monde où le bonheur est à portée de main… à condition de pouvoir se le payer.

Des monologues, tout en humour, tout en lucidité (tout en montées de lait!) qui vont me permettre de faire exactement ce que je veux faire avec mon écriture : c’est-à-dire la livrer le plus directement possible aux gens, sans intermédiaire.

Photo Nathan Dumlao

Dans tout ce que je crée, je cherche un rapport au vrai, le vrai qui force à prendre le temps.

Comme la tranche de pain de boulangerie, avec noix et grains rustiques, qui prend tant de temps à rôtir que mon grille-pain n’a pas de mode de cuisson assez élevé pour bien le faire dorer sans que j’aie à réappuyer.

Tsé, le vrai prend du temps.

En création, comme dans la vie, ce qu’on gagne en rapidité et en efficacité on le perd en saveur.

Bien sûr, en s’exposant, on s’expose aussi aux critiques. Si mes toiles et mes mots plaisaient à tous, je les servirais en trios pis je donnerais un jouet avec tout achat.

Mais tsé.
On va bientôt être 8 milliards sur terre.
Faudrait peut-être arrêter de vouloir être aimé de tous.

Mais une fois que nous on aime ce qu’on fait, une fois décidé, une fois lancé, il suffit de rester ouvert, de dire oui, de saisir toutes les opportunités, là où elles se trouvent.

Quitte à se mettre dans une position de déséquilibre.

(Ok, je l’admets. Ce n’était qu’un prétexte pour mettre une photo de chat.)

Photo Vicky Parent

Il faut aussi se donner le temps pour que notre travail soit vrai, aussi coloré que des friandises, aussi inspirant qu’une toile achevée, qu’un texte juste, aussi délicieux qu’un pain fait maison.

Il faut sortir de soi.

S’exposer.

Et avant de vouloir à tout prix parler, garder en tête que la meilleure manière de débuter un dialogue, un vrai, est parfois d’écouter et de se taire.

Simple.